Raphaël Schellenberger est intervenu dans une tribune pour le JDD au sujet du Projet de réforme des retraites, porté par le Gouvernement, qu’il ne votera en l’état actuel des choses.
« C’est parce que nous voulons encore faire bouger les choses que je ne veux pas considérer mon vote comme acquis avant le début des discussions ».
Retrouvez sa tribune :
Voteriez-vous le texte si vous deviez le faire demain ?
En l’état de ce qui nous a été présenté, non.
Pourquoi ?
Pour une question de principe : une réforme aussi structurelle que les retraites doit faire l’objet d’un processus de débat, notamment avec les partenaires sociaux. De ce point de vue-là, il y a un vice d’origine dans cette réforme : le bypass quasi complet du dialogue social. Sans parler du débat parlementaire. Je refuse par principe cette méthode, qui est d’essayer de construire des accords de couloirs en amont des discussions législatives. Qu’on discute avant, oui, mais qu’on considère que tout est réglé à l’occasion de ces discussions, non. Il faut respecter le Parlement, les Français en juin dernier nous ont demandé plus de débat politique. Donc il faut qu’on débatte. Et là, le débat n’a pas encore eu lieu. C’est parce que nous voulons encore faire bouger des choses que je ne veux pas considérer mon vote comme acquis avant le début des discussions.
Vous disiez que votre opposition était une question de principe, mais il y-a-t-il des lignes de fond ?
Celle des carrières longues tout d’abord. L’enjeu de la réforme, c’est de s’adapter à la nouvelle réalité du marché du travail, avec des populations qui arrivent de plus en plus tard, et notamment les plus qualifiées. Il y a lieu que cette réforme ne crée pas des injustices au regard des « métiers d’exécution », qui entrent sur le marché du travail plus tôt, qui seraient in fine ceux qui travailleraient le plus. La question de la durée de cotisation doit progressivement prendre le pas sur la question de l’âge légal de départ. Parce que l’âge légal, c’est ce mécanisme qui fait que celui qui a commencé à travailler tôt va devoir cotiser ses 43 années, et peut-être même qu’avec 43 ans de cotisations, il va devoir continuer à travailler jusqu’à atteindre l’âge légal. Alors que celui qui est sur le marché du travail à 25, 26 ans, après avoir fait des études, il va cotiser seulement 38 ans. Et cela, c’est injuste.
Pourquoi évoquez-vous des « entourloupes » ?
Sur la question de la revalorisation des petites retraites, par exemple. Il faudra obtenir la revalorisation effective du stock des petites retraites, mais on a aussi un vrai angle mort dans l’évolution de la justice du modèle social, vis-à-vis notamment des femmes. Nous passons de la génération de femmes qui ne travaillaient pas et qui bénéficiaient des pensions de réversions, à des générations de femmes qui ont travaillé avec des carrières hachées, jusqu’à arriver demain, je l’espère, à des générations de femmes qui ont eu une carrière égale avec les hommes, à même niveau de salaire. Mais en attendant, il faut que notre système compense ces inégalités, et jusqu’ici, c’est un impensé de la réforme d’Élisabeth Borne.
Combien êtes-vous de députés LR à ne pas vouloir voter la réforme ?
On ne se compte pas , ce sont des échanges informels. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui Élisabeth Borne n’a pas les 40 députés LR prêts à voter la réforme . Mais je ne mets pas d’opposition de principe à voter une réforme qui serait plus juste.
Est-ce que LR pourrait déposer une motion de rejet préalable sur le texte, ou serait-ce illisible politiquement ?
Je continue de penser que la méthode au départ n’est pas bonne, que le calendrier est mauvais… Pour autant, si on veut que la démocratie fonctionne, il faut qu’on ait des espaces pour débattre. Et les motions de rejet préalable ou de renvoi en commission permettent d’avoir un espace de discussion et un temps de parole supplémentaire. Alors que là, nous serons dans un temps programmé et limité avec le véhicule législatif qui est le PLFSSR . Je pense très sincèrement qu’en première lecture, il n’y aura pas de vote sur le texte, parce que nous n’aurons pas le temps d’aller jusqu’au bout. Et c’est là que c’est insupportable. Quand on veut construire du consensus national autour d’une telle réforme et que l’on n’a pas la majorité au Parlement, on prend le temps d’en débattre. On n’expédie pas cela entre Noël et l’Épiphanie, n’en déplaise à Emmanuel Macron et à Élisabeth Borne.
Pourquoi dites-vous que le calendrier n’était pas bon ?
On vient réformer les retraites alors qu’il n’y a pas d’urgence financière : il y a un peu d’air jusqu’en 2030. Évidemment qu’il faut y travailler, parce qu’il faut rééquilibrer le système, mais il n’y a pas d’urgence absolue. Dans l’ordre hiérarchique des réformes à mener, les questions de l’énergie et de la santé étaient plus urgentes que les retraites. Ce mois de janvier me donne le sentiment d’un début de quinquennat, quand on fait des discours-fleuves, des annonces de grands plans sur tout, et qu’à la fin, on fera rien. Oui, il y a des nécessités de rétablir les finances publiques sur un certain nombre de sujets. Mais le déficit prévisionnel à échéance 2030 des régimes de retraite est de 15 milliards d’euros, alors que le déficit annuel du budget de l’État est de 150 milliards.
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